masculinité, espaces et le numérique comme outil de déconstruction

Les portraits photographiques de médecins


ARCHIVES HOSPITALIÈRES ET DYNAMIQUES DE POUVOIR


Les collections et séries de photographies de médecins se trouvent en grand nombre dans les archives et collections spéciales du monde de la médecine. Ces portraits sont remarquables dans les fonds et collections du Service des archives et collections spéciales du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), de la Bibliothèque Osler d’histoire de la médecine et du Service des archives de l’Université McGill. Quelques dizaines de portraits de médecins qui ont évolué à l’Hôpital général de Montréal, à l’Hôpital Royal Victoria et à l’Hôpital de Montréal pour enfants se trouvent également au Musée McCord.  À travers des recherches en cours, j’insiste sur l’importance de la littéracie archivistique afin d’examiner les structures de pouvoir se trouvant dans les collections de photographies du milieu hospitalier. Ici, j’aimerais souligner que la numérisation de ces photographies offre la possibilité de concevoir des narratifs qui confrontent les dynamiques de pouvoir traditionnelles. La numérisation et la diffusion numérique de l’archive s’ajoutent aux interventions archivistiques de sélection, description et organisation de l’information. Ces procédés, à travers une approche critique,  peuvent permettre la mise en valeur de contre-narratifs.

PORTRAITS DE MÉDECINS ET ESPACES PHYSIQUES


La professionnalisation des pratiques médicales dans les dernières décennies du 19e siècle a contribué à la conception et au développement des hôpitaux modernes. Les caractéristiques scientifiques, académiques et professionnelles reliées à la médecine moderne ont joué un rôle important dans l’élaboration de l’identité des hôpitaux (Howell, 1995). Un élément particulièrement notable dans la construction de l’organisation de la médecine moderne réside dans l’association d’une identité médicale avec l’autorité et le rayonnement social des médecins masculins. À travers le développement des hôpitaux modernes, les photographies étaient utilisées pour communiquer des éléments rattachés au nouvel ordre médical et aux valeurs des autorités en contrôle de la production et la diffusion de ces photographies (Fox & Lawrence, 1988). À ce titre, la création et la diffusion de portraits de médecins ont participé à l’élaboration d’une hiérarchie sociale basée sur l’association de la masculinité avec le professionnalisme médical.

Pour les membres de la classe aisée de Montréal de la fin du 19e et début du 20e siècle, la création de leur portrait chez des studios reconnus, particulièrement celui de William Notman, était associée à la validation de leur statut social. Comme l’historien de la photographie André Rouillé l’indique, « chez le photographe, le bourgeois pose et s’expose à la fois, tandis que les clichés traitent son corps en signifiant de son individualité, de son ‘âme’, de sa position sociale, de sa situation professionnelle, ou de sa condition familiale (Rouillé, 1986, p. 48). » Les portraits photographiques de médecins de l’Hôpital général de Montréal, de l’Hôpital Royal Victoria et de l’Hôpital de Montréal pour enfants soulignent le statut social et l’importance des médecins dans ces hôpitaux, mais également dans la communauté aisée anglo-montréalaise de la fin du 19e et début du 20e siècle.

Image (droite) : Dr. Duncan C. MacCallum, vers 1885.
Photographe: William Notman.
Source: Service des archives et collections spéciales du Centre universitaire de santé McGill. 2014-0014.04.632.

L’installation de ces photographies de médecins sur les murs des différents départements – une pratique répandue dans tous les hôpitaux – témoigne d’une volonté de maintenir le pouvoir masculin dans ces institutions. L’occupation de l’espace physique illustre l’autorité médicale et sociale de ces hommes. Les départements médicaux accordent beaucoup d’importance au narratif visuel associé aux portraits de leurs anciens chefs de département. Les documents d’archives photographiques exposés sur les murs des différents départements médicaux contribuent alors à souligner l’importance de la masculinité dans la mémoire collective des hôpitaux. Je signale le pouvoir de la photographie dans l’élaboration d’une mémoire collective en précisant que « la photographie est certes socialement efficace par les contenus qu’elle véhicule, mais surtout par l’ordre visuel qu’elle construit en modelant les structures mentales à partir des formes qu’elle diffuse (Rouillé, 1982, p. 161). » La présence des portraits de médecins sur les murs des différents départements impose ainsi une valeur historique particulière de ces médecins dans la mémoire collective des hôpitaux et renforce le lien entre masculinité et autorité médicale et sociale.

Image (gauche) :Edward W. Archibald, Chirurgien en chef de l’Hôpital Royal Victoria (1928-1934), vers 1930.
Photographe: Rice
Source: Service des archives et collections spéciales du Centre universitaire de santé McGill

DIFFUSION NUMÉRIQUE DES COLLECTIONS D’ARCHIVES DU CUSM


Il est important pour les archivistes et bibliothécaires de prendre compte de ces dynamiques de pouvoir afin de noter les contextes sociohistoriques des séries et collections du monde hospitalier. Afin de mettre en valeur des photographies témoignant de la diversité sociale et la richesse historique des hôpitaux – qui vont, certes, au-delà du portrait de médecin sur les murs –, la numérisation et la diffusion de photographies dans les plateformes numériques s’imposent comme une avenue primordiale et nécessaire. À ce titre, les archivistes et bibliothécaires ont l’opportunité, par le biais de diffusion de collections de photographies sur le Web et à travers les médias sociaux, d’exposer un espace archivistique et une mémoire collective dynamiques, diversifiés et inclusifs. Au Service des archives et collections spéciales du CUSM, la diffusion de photographies implique des projets de numérisation et de mise en valeur diverses, notamment à travers les médias sociaux et des expositions. Le développement de plateformes numériques accessibles demeurent à être construites, mais cette conversation de paramètres critiques à travers la numérisation et la diffusion numérique va permettre de mettre en lumière, dans des projets numériques futurs, des photographies qui témoignent de la diversité des fonds et collections d’archives du milieu hospitalier.

CONTRIBUTEUR

François Dansereau
Service des archives et collections spéciales du Centre universitaire de santé McGill

SOURCES

Fox. D., & Lawrence, C. (1988). Photographing medicine: Images and power in Britain and America since 1840. New York: Greenwood Press.

Howell, J.D. (1995). Technology in the hospital: Transforming patient care in the early twentieth century. Batltimore, MD: Johns Hopkins University Press.

Hunter, M. (2016). The Face of medicine: visualising medical masculinities in late nineteenth-century Paris. Manchester University Press. 

Mifflin, J. (2007). Visual archives in perspective: Enlarging on historical medical photographs. The American Archivist, 70(1), 58-59.

Rouillé, A. (1986). Le Corps et son image : Photographies du dix-neuvième siècle. Paris : Contrejour.

Rouillé, A. (1982). L’Empire de la photographie: photographie et pouvoir bourgeois, 1839-1870. Paris : Le Sycomore.