Collectif Blanc est une plateforme curatoriale montréalaise, fondée en 2014 par Catherine Métayer (commissaire, directrice éditoriale et éditrice) et Marie Tourigny (commissaire, directrice artistique et designer graphique). Son objectif : faire la promotion de nouvelles formes d’édition imprimée, d’ici et d’ailleurs.
Par le truchement d’expositions thématiques et ponctuelles, de projets d’édition et d’un blogue quotidien, Collectif Blanc cherche à stimuler la rencontre entre le public, les éditeurs, les commissaires, les designers graphiques et les artistes.
Le MOQDOC (MD) s’entretient avec Collectif Blanc (CB)
CB : À travers tous nos commissariats de livres, nous nous donnons le mandat de faire découvrir des publications imprimées singulières (souvent inaccessibles dans nos librairies) en les mettant en espace de manière originale et ludique. Nous cherchons aussi à démocratiser le livre d’art en le communiquant de manière accessible.
Pour notre deuxième exposition à la Galerie UQO, nous avons eu envie de proposer un concept qui témoigne du cœur de notre travail. C’est en feuilletant nos collections de livres respectives que le thème de la bibliothèque personnelle s’est révélé. Parce que celle-ci témoigne du rapport intime que nous entretenons avec les livres au quotidien. Mais aussi parce qu’on peut l’envisager telle une exposition, comme une mise en scène de nos collections de livres.
En effet, nous avons tendance à aménager nos bibliothèques en petits corpus : à classer les livres d’une certaine manière, à y ajouter des objets qui ont une signification particulière, à en faire un aménagement souvent artistique. Et avec la croissance de la présence des outils technologiques dans nos vies, notre rapport au livre et à la bibliothèque prend justement une teneur plus esthétique.
Nos bibliothèques sont aussi un merveilleux lieu de découverte (nous avons souvent le réflexe de nous diriger vers les bibliothèques des gens que nous visitons). Elles sont la plupart du temps éclectiques. Elles contiennent des livres — nouveaux, anciens, achetés, reçus, trouvés — qui, en s’accumulant, révèlent nos identités complexes.
Les bibliothèques deviennent des espaces d’attention où nourrir l’imaginaire et tisser du sens
MD : Comment avez-vous effectué la sélection d’œuvres que vous y avez présentée et en quoi celles-ci ont-elles informé la composition physique de l’exposition ?
CB : Nous avons imaginé une exposition à la manière d’une grande bibliothèque immersive composée des différentes catégories de livres qui se retrouvent généralement dans nos collections personnelles. Le défi était de recréer l’intimité et la chaleur de bibliothèques personnelles au sein des grands murs blancs de la Galerie UQO.
Avec l’aval de la directrice de la Galerie UQO, Marie-Hélène Leblanc, nous avons donc entrepris de créer des univers scénarisés et de faire cohabiter les publications d’une cinquantaine de designers, d’artistes, d’auteurs et d’éditeurs contemporains avec des livres anciens et des objets capables de nourrir leur potentiel narratif (roches, plantes, cartes postales, bibelots, etc.). Aussi, nous avons disposé les livres de manière parfois incongrue, pour se faire le miroir de nos étagères qui ne sont pas toujours parfaitement rangées. Pour chaque corpus, nous avons fabriqué un mobilier sur mesure à l’aide d’un artiste expert en installation, Benoit Blondeau.
Au total, une douzaine de corpus ou de micro-bibliothèques composaient l’exposition : des livres érotiques artistiques cachés dans une bibliothèque basse ; des monographies d’artistes aux couvertures blanches posées sur des étagères de la même couleur ; des livres et des objets ésotériques (dont ceux de l’éditeur montréalais Chemicum poetarum, qui réimprime des ouvrages tombés dans l’oubli) ; des gros livres sur l’art et l’ornementation disposés au sol sur un tapis et des coussins brodés ; des livrets de poésie ancienne et contemporaine posés au mur comme s’ils flottaient ; des ouvrages de botanique entrecoupés de plantes artificielles ; des livres d’histoire et d’archives incluant ceux d’un artiste canadien, Ho Tam, et d’un éditeur américain, Catalog Press, qui fabriquent tous deux des livres à même des billets de banque.
Le dispositif était augmenté par les oeuvres de quatre artistes visuels qui abordent, tour à tour, l’archive personnelle et encyclopédique (Celia Perrin Sidarous), l’assemblage du livre et de la collection (Derek Sullivan), ainsi que les qualités matérielles et sculpturales de l’imprimé (Marie-Michelle Deschamps et Bryan-K. Lamonde).
Les visiteurs étaient donc invités à circuler d’une bibliothèque à l’autre, en manipulant les livres (avec des gants). L’idée étant que les bibliothèques deviennent des espaces d’attention où nourrir l’imaginaire et tisser du sens.
MD : Depuis la fondation de Collectif Blanc en 2014, vous avez réalisé de nombreuses expositions. Quelles méthodes utilisez-vous afin de documenter et/ou d’archiver vos réalisations/œuvres/documents ?
CB : Nous travaillons avec le même photographe, Jean-Michael Seminaro, depuis le tout début. Ce dernier documente l’ensemble des installations, des livres et des vernissages de nos expositions. Son travail nous assure d’avoir une archive visuelle esthétique et cohérente de l’ensemble de nos projets et de les communiquer à nos participant·e·s à travers le monde.
Nous avions un site web qui répertoriait l’ensemble de nos expositions, mais nous l’avons laissé tomber parce que nous le trouvions trop statique. Nous avons aussi diffusé nos expositions sur les réseaux sociaux, mais nous aspirons encore à trouver le bon médium pour communiquer l’ensemble de nos expositions, peut-être sous la forme éventuelle d’une publication imprimée. Mettre nos expositions en livre, pourquoi pas !
MD : Votre plateforme vise à promouvoir et à faire découvrir des livres d’art au grand plaisir de vos lecteur.ices.s. Quelle est votre approche quant à la sélection et la diffusion de ces œuvres ?
CB : Nous sommes en recherche et en discussion constantes à propos des qualités matérielles, conceptuelles, littéraires, de design et artistiques des livres. Nous cherchons des publications qui allient forme et fond car selon nous, c’est à la croisée des deux que le livre d’art prend tout son sens. C’est pourquoi nous prêtons attention à tous les détails du livre : sa reliure, son format, son design graphique, son choix de polices de caractères, ses qualités littéraires et conceptuelles.
Nous aimons aussi faire cohabiter des livres créés par différents acteurs du livre : artistes, designers, éditeurs, auteurs indépendants et imprimeurs, dans le but de stimuler la rencontre et l’échange.
Nous invitons des participants locaux et internationaux, émergents et établis, afin qu’ils participent à la démocratisation du livre d’art.
Aussi, nous nous assurons toujours que les visiteur·euse·s à nos expositions en galerie puissent se procurer des livres et que plusieurs de ces livres soient abordables, afin de leur faire vivre une expérience similaire à la collection d’œuvres d’art.
MD : Les restrictions/limitations physiques reliées à la pandémie ont-elles eu un impact sur vos activités? Avez-vous de nouveaux projets en cours, ou des projets prévus pour l’année à venir que vous aimeriez partager ?
CB : Nous avons dû mettre notre projet sur pause, car une des choses les plus importantes pour nous est de donner accès aux livres, de stimuler la rencontre entre le public et les créateurs, et de créer une expérience sensorielle autour de l’imprimé. Même si nous avons aussi une présence sur les réseaux sociaux et que nous partageons nos découvertes sur une base régulière, celle-ci ne nous suffit pas. Pour réellement démocratiser le livre d’art, il faut pouvoir l’exposer dans le monde.
La pandémie nous fait réfléchir à la suite de notre projet et nous fait envisager d’autres avenues potentielles, en plus des expositions ponctuelles : la création d’une publication Collectif Blanc, le lancement d’une collection de livres commissariés dans un espace physique permanent, etc.
Depuis deux ans, nous publions aussi une chronique dans la revue Vie des arts, qui nous permet de mettre la lumière sur les livres de créateurs canadiens qui allient fond et forme.
CONTRIBUTEUR
Collectif Blanc
IMAGES
Jean-Michael Seminaro