Le Réseau ADN et les dynamiques d'adoption du numérique dans le milieu culturel québécois

En avril 2019, le Ministère de la culture et des communications du Québec (MCC) déployait un réseau d’une quarantaine d’agent.e.s de développement culturel numérique employé.e.s auprès de presque autant d’organismes culturels à travers la province. Le Réseau ADN a été mis en œuvre dans le cadre de la mesure 120 du Plan culturel numérique du Québec et vise à accompagner le milieu culturel dans son virage numérique sur trois ans (2019-2022). Les postes ont été répartis au sein d’organisations régionales (les conseils régionaux de la culture) et sectorielles (les regroupements et associations professionnelles).

J’occupe pour ma part un poste d’agente de développement culturel numérique (ADN, dans sa forme abrégée) auprès de deux regroupements dans le secteur des arts visuels : le Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec (RCAAQ) et Repaire (organisme récemment né de la fusion du Conseil québécois des arts médiatiques (CQAM) et du Regroupement des arts interdisciplinaires du Québec (RAIQ). La grande force du Réseau ADN réside dans la formation d’une communauté de pratique au sein de laquelle l’ouverture et la collaboration ont permis une circulation fluide de l’information, le décloisonnement des pratiques et l’éclosion de nouveaux partenariats.

Au-delà du très large mandat d’accompagner la transition numérique des organismes culturels, chaque organisme a pu développer avec son ADN des orientations plus spécifiques. Ainsi, au sein de mes organismes, nous avons identifié deux axes de développement prioritaires à mon mandat : outiller les équipes et documenter le milieu des arts actuels.

OUTILLER LES TRAVAILLEUR.EUSE.S CULTUREL.LE.S


Ce premier axe, outiller les équipes, nous a permis de faire un pas de recul pour observer les différents processus ayant cours au sein de nos organismes et pour évaluer les besoins et les façons d’y répondre que nous offrent les technologies numériques. Nous avons donc mené plusieurs processus parallèles et successifs au sein des deux organisations pour adapter les pratiques existantes et pour en adopter de nouvelles. À chaque fois, nous avons suivi une démarche en plusieurs étapes : discussion sur les besoins, recherche d’outils/de pratiques, expérimentations, implémentation au sein de l’organisme, formation des employé.e.s et retours d’expérience publics auprès des membres et de la communauté du Réseau ADN. Nous avons notamment investi beaucoup de temps et d’efforts dans l’adoption de saines pratiques de gestion de l’information (documents et archives, données liées au membrariat et aux activités) et dans l’adoption de pratiques cyber sécuritaires. L’ensemble de ces démarches a été documenté dans le cadre des chroniques ADN publiées sur les sites Web du CQAM, du RAIQ et du RCAAQ (voir aussi La littératie numérique en six microbouchées, une collaboration spéciale avec la Conférence des collectifs et des centres d’artistes autogérés (ARCA)).

DOCUMENTER LES ARTS ACTUELS SUR LE WEB


Dans le cadre du second axe visant à documenter les arts actuels sur le Web, nous avons développé un partenariat très riche avec un organisme membre du RCAAQ et un acteur important du milieu de l’art au Québec et au Canada : Artexte. En se basant sur l’expertise d’Artexte, qui s’incarne notamment dans les extraordinaires bibliothécaires Hélène Brousseau et Jessica Hébert, ainsi que dans les bénévoles et stagiaires du centre de documentation, et en profitant des ressources (en temps et en travail) que mon poste représentait, nous avons organisé un programme d’ateliers de contribution à Wikipédia. 

Atelier Wiki x arts actuels, Artexte, 30 janvier 2020.

Les Ateliers Wiki x arts actuels, lancés en 2020 et se poursuivant jusqu’au printemps 2022, ont comme objectif d’améliorer la représentation des artistes et des pratiques du milieu des arts actuels sur l’encyclopédie en ligne. Pour ce faire, nous proposons un rendez-vous mensuel, ouvert à tou.te.s, lors duquel nous offrons une introduction à Wikipédia (et parfois à Wikidata), préparons un corpus de ressources documentaires et accompagnons les participant.e.s dans l’édition de contenus.

 

Si la participation des artistes, travailleur.euse.s culturel.le.s, chercheur.euse.s et étudiant.e.s lors des ateliers contribue à documenter notre milieu sur le Web, elle sert également un objectif sous-jacent. Ces ateliers sont aussi pour nous une manière très concrète de sensibiliser notre milieu à différents enjeux de littératie médiatique et numérique. À titre d’exemple, l’initiation aux principes de la contribution à Wikipédia nous permet d’exposer les articulations entre les articles de l’encyclopédie et différentes sources d’information, en soulignant l’important rôle que jouent les journaux, les revues spécialisées, les maisons d’édition locales et la recherche universitaire en art actuel dans la visibilité de notre milieu. Elle nous permet également d’aborder la question de l’impact qu’ont les licences libres sur le Web dans la circulation et la réutilisation des informations, autant au niveau de l’accès aux contenus pour les utilisateur.trice.s qu’au niveau de l’affichage des données et des résultats sur les pages des moteurs de recherche.

"Il y a quelque chose d’extrêmement nourrissant dans la rencontre entre les pratiques de l’art, de la recherche et de la bibliothéconomie"


RENCONTRES


Je conclus cet article avec un constat qui n’aura rien de nouveau pour les professionnel.le.s des bibliothèques d’art, mais qui fut l’un des fils conducteurs de mon mandat : il y a quelque chose d’extrêmement nourrissant dans la rencontre entre les pratiques de l’art, de la recherche et de la bibliothéconomie. Depuis leur création, le Web et les technologies numériques en général se sont d’ailleurs offerts comme un point de convergence fécond entre ces trois domaines. 

 

Mon rôle d’ADN m’aura permis de faire l’expérience de ces affinités au fil de nombreuses rencontres et d’ateliers wiki. Je ne peux qu’énoncer le souhait que se multiplient toujours les occasions d’échange et le croisement des savoirs et des pratiques. L’une des victoires du Réseau ADN, à mon avis, est justement d’avoir compris la valeur de ces croisements, pour que les meilleures pratiques circulent et soient adoptées et adaptées par le plus grand nombre. 

 

Que le mandat des ADN soit prolongé ou non, l’objectif est donc maintenant de valoriser cette forme d’ouverture entre les différents secteurs et au sein d’un même milieu. Les technologies et les outils numériques évoluant à un rythme soutenu, il sera toujours avantageux de partager le travail de veille, d’expérimentation et d’apprentissage au sein d’une communauté de pratique. Les regroupements professionnels pourront ainsi continuer à jouer ce rôle important en créant des occasions de rencontre et d’échanges entre leurs membres et avec les autres milieux.

CONTRIBUTRICE

 Isabelle L’Heureux

Agente de développement culturel numérique pour le Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec et Repaire – Regroupement de pairs des arts indépendants de recherche et d’expérimentation

IMAGES

Publication : La littératie numérique en six microbouchées.  Conférence des collectifs et des centres d’artistes autogérés / The Artist-Run Centres and Collectives Conference (ARCA)

Atelier Wiki x arts actuels, Artexte, 30 janvier 2020.