Il y a des opportunités qui ne se refusent pas. Comme la proposition que m’a faite la Fondation Jean Paul Riopelle de rédiger une importante chronique biographique sur ce peintre, l’un de nos plus importants maîtres de l’abstraction au 20e siècle.
Avec la généreuse collaboration d’Yseult Riopelle, directrice du Catalogue raisonné Jean Paul Riopelle, la Fondation a mis à ma disposition une bibliographie, une chronologie détaillée, un corpus de photographies et plusieurs publications récentes. Après avoir analysé ces documents, converti la bibliographie en une base de données Access et identifié les principaux fonds d’archives à consulter, j’étais fin prêt. C’était en mars 2020…
Du jour au lendemain, la bibliothèque et les archives du Musée national des beaux-arts du Québec, pourtant situées à quelque 260 mètres de ma résidence, devenaient inaccessibles pour cause de pandémie… et il en allait de même pour tous les fonds publics et privés que je souhaitais explorer en début de projet!
Maintenant retraité, je ne possède aucune affiliation muséale ou universitaire qui me garantirait un accès physique à certaines collections. Pouvais-je poursuivre mon projet? Par la force des choses, et croyant que les fermetures seraient de courte durée, je me suis replié sur le Web comme source d’information. Grâce à la bibliographie que j’avais en main, je possédais l’avantage de savoir quoi chercher.
LE NUMÉRIQUE À LA RESCOUSSE
Pour les livres, AbeBooks
Devant l’inaccessibilité des fonds d’archives, je me suis réorienté vers les sources secondaires telles que biographies et catalogues d’exposition. Un nouvel obstacle s’est alors présenté : pendant le confinement, je ne pouvais emprunter qu’à la bibliothèque de la ville de Québec. Évidemment, une bibliothèque publique ne possède qu’une infime fraction des ouvrages spécialisés nécessaires à la recherche en histoire de l’art. J’ai donc eu recours à AbeBooks où j’ai trouvé, souvent à peu de frais, les ouvrages incontournables sur Riopelle. J’avais bien quelques scrupules à favoriser l’achat en ligne au détriment de mes libraires d’ancien préférés, mais j’ai vite constaté que ces derniers se servaient d’AbeBooks comme site transactionnel. En peu de temps, je me suis constitué une bibliothèque substantielle dont les livres provenaient du Canada, des États-Unis et de la France. De quoi m’occuper pendant plusieurs mois!
BAnQ numérique pour la culture québécoise
Une deuxième ressource Web a très vite conquis sa place au sommet de mes signets : BAnQ numérique. Le portail de Bibliothèque et Archives nationales du Québec brille par la qualité et la quantité de son contenu. J’ai pu y consulter en grand nombre les articles de journaux canadiens inscrits dans ma bibliographie et en découvrir d’autres. Imaginez, les éditions complètes du Canada, de La Presse, du Devoir, des annuaires Lovell de la ville de Montréal, le tout avec recherche en texte intégral! À force de triturer le moteur de recherche, j’ai repéré des documents numérisés d’une grande valeur pour ma recherche. Parmi les perles : les trois tomes de l’édition critique des écrits de Paul-Émile Borduas par André-G. Bourassa et Gilles Lapointe (1987, 1997) ainsi que Projections libérantes du même Borduas (1949), des ouvrages auxquels je me suis référé sans cesse et que j’ai cités à maintes reprises dans mon texte.
BAnQ numérique m’a littéralement permis de traverser la pandémie sans jamais avoir à m’arrêter. Bien sûr, j’ai aussi consulté Érudit (erudit.org) et j’ai profité des rabais COVID offerts sur certaines bases de données sur abonnement, dont Le Monde et The New York Times.
Les ressources généalogiques
Afin d’assurer l’exactitude des événements cités, l’auteur d’un ouvrage biographique doit constamment remettre en question ce qui a été dit ou publié sur son sujet et, toujours, il doit retourner aux sources et vérifier leur fiabilité. J’ai trouvé sur les sites généalogiques les outils les plus performants pour le repérage des traces laissées par une personne au fil de son existence, qu’il s’agisse de Jean Paul Riopelle, de sa famille ou de ses amis. À maintes reprises, en les combinant avec BAnQ numérique, les sites Généalogie Québec, BMS2000, Ancestry® et FamilySearch m’ont été d’une aide précieuse pour étayer faits et dates sur des documents fiables.
Le modèle d’affaire des sites consacrés à la généalogie vaut d’être considéré. L’usager doit payer des frais d’abonnement mais les contenus ne cessent de croître et les interfaces s’améliorent constamment. Les généalogistes sont très bien servis sur le Web, bien mieux que les historiens de l’art.
DES PISTES À DÉFRICHER
Grâce aux ressources numérisées accessibles sur Internet, j’ai pu poursuivre mes recherches et, éventuellement, entamer la rédaction de mon livre. Mais il faut bien admettre que notre patrimoine artistique demeure l’un des parents pauvres du savoir en ligne. Les musées du Québec et du Canada ont fait un travail remarquable quant à la numérisation et la mise en ligne de leurs collections. Malheureusement, le savoir associé à ces collections ne reçoit pas la même attention.
Essentiels à la connaissance approfondie de nos artistes, les catalogues d’exposition demeurent inaccessibles en ligne, à part quelques rares exceptions. Si ce n’était de l’épineuse question des droits, il serait pourtant facile pour nos musées ou pour BAnQ d’utiliser les maquettes électroniques des livres d’art publiés au cours des trente dernières années afin de générer des ebooks au format ePub ou PDF, disponibles pour prêt seulement.
De surcroît, il importe de pallier l’absence numérique de publications plus anciennes essentielles à la recherche. Je pense, par exemple, aux catalogues des salons du printemps de l’Art Association of Montreal et des expositions annuelles de l’Académie royale des arts du Canada. De nombreux catalogues d’expositions annuelles ou biannuelles organisées par nos musées et sociétés artistiques pourraient être numérisés en peu de temps vu leur nombre réduit de pages. J’y ajouterais les prospectus des écoles d’art : Écoles des beaux-arts de Montréal et de Québec, École des arts et manufactures, École de l’Art Association, École du meuble.
Quelques institutions américaines ont déjà frayé la voie à ce genre d’initiative. À New York, le MoMA a mis en ligne les archives étonnamment complètes de ses expositions sur le site Exhibition history | MoMA. Des archives numérisées pour quelque 3 500 expositions de 1929 à aujourd’hui! On y trouve des vues d’installation, des communiqués de presse et, pour les expositions plus anciennes, une copie numérique du catalogue.
Fondé en 2012, le Getty Research Portal met au service des établissements participants un portail où sont agrégées les métadonnées des documents numérisés par les contributeurs. Accessible gratuitement, le portail donnait accès à 169 676 titres au moment d’écrire ces lignes. Au moyen de liens intégrés aux notices, les documents se visionnent à partir des sites des établissements participants. Curieux de savoir si le chercheur pourrait y trouver du contenu canadien, j’ai regardé le tutoriel en ligne et me suis lancé à l’assaut de leur moteur de recherche. Un peu déçu, j’ai constaté qu’un seul contributeur canadien, Bibliothèque et archives du Musée des beaux-arts du Canada, avait fourni 36 items… trop peu pour satisfaire l’appétit du véritable chercheur. En revanche, j’y ai trouvé le catalogue – provenant de Gallica BNF – de l’exposition Le surréalisme en 1947, à laquelle Jean Paul Riopelle a participé. Cette dernière anecdote souligne le problème majeur des ressources historiques en ligne : la difficulté de les trouver. En effet, j’avais déjà effectué des recherches sur Gallica, sans rien repérer d’utile.
Un autre modèle de dissémination tout à fait passionnant pour un chercheur sérieux a fait l’objet d’une affiche à la Conférence virtuelle Montréal 2021 d’ARLIS/NA. Archiviste à la National Gallery of Art de Washington (D.C.), Shannon Morelli y décrit la Kress Collection Digital Archive (nga.gov), commanditée par la Samuel H. Kress Foundation. Œuvres d’art, biographies d’artistes, documents d’acquisition, rapports de conservation et autres archives : autant d’objets numérisés à un haut degré de précision et mis en relation les uns avec les autres. Dommage que Kress ne se soit pas intéressé au 20e siècle.
CONTRIBUTEUR
Pierre Landry
Historien de l’art / Art historian
IMAGES
1. Hébert, Jessica, collection de livres de Riopelle chez Artexte.
2. Pipe, Melissa, oeuvre de Riopelle, lithographie tirée de “Derrière le mirroir”, 1967.